Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 Dec

Démocratie

Publié par Stumpyjoe

Démocratie

              New York exerce sur moi une fascination extrême. A chacun de mes voyages, son charme semble s’étendre un peu plus. On pourra me dire ce qu’on veut, me bassiner en roulant des yeux, essayer de me faire sentir coupable, mais à chaque fois que je me trouve au centre de Times Square ou au sommet d’un gratte-ciel de Manhattan, j’ai toujours l’impression d’être au centre du monde. Marcher au crépuscule sur la 6ème Avenue entre Bryant Park et la 34ème rue, lorsque les lumières des grands cubes de verre noir se réveillent tels des milliers d’yeux fatigués me donne toujours la chair de poule ; en levant la tête vers la gauche, on peut parfois apercevoir l’aiguille de l’Empire State Building, comme un sceptre d’acier dans les mains d’un roi fou. Les cônes de vapeur au petit matin, les dim sum de Rutgers Street, le bruit du métro même provoquent chez moi une allégresse, un bonheur toujours renouvelés. Presque toute la ville est pour moi comme cela : la quintessence même de la ville.

             Presque toute la ville. Car lorsque vous entrez dans l’atrium de la Pump Tower, la première chose qui vous saute à la figure – juste avant de manquer défaillir, importuné jusqu’à la nausée par tout ce marbre rose, ces jeux de miroirs et ces lumières crues – est la laideur presque irréelle du lieu, laideur définitive découlant semble-t-il d’une absence totale de cohérence ; comme si l’architecte avait voulu prévenir le visiteur, tout en lui en donnant un petit aperçu, qu’il lui serait impossible d’espérer saisir, et même approcher, la pensée volatile, irrationnelle – et pour certains démente – du propriétaire. Ainsi, les escalators semblent directement venir s’écraser dans les murs, des plantes poussent la tête en bas, et le ciel se reflète sur le sol. Tout concourt à vous pousser à abandonner toute réflexion cartésienne. Un peu comme si c’était en fait le liquide rachidien du principal habitant des lieux – qu’il partage apparemment avec un acteur chauve et un footballeur gominé – qui coulait sur les cascades de Breccia Pernice.

Démocratie

             Aujourd’hui, tout le monde connait Daffy Pump, mais la première – et unique – fois que j’ai pénétré dans sa tour, il n’était qu’un milliardaire de plus au pays des milliardaires. Sans doute un peu plus allumé, un peu plus ahuri que la moyenne de ses congénères, un peu plus mal coiffé, un peu plus riche aussi ; et, pour tout dire, plutôt sympathique. Daffy Pump, c’était un peu l’oncle légèrement dérangé à la coiffure improbable qui tient à la fin des repas de famille des discours peu cohérents sur les étrangers, les femmes ou les fumeurs. Pas très intéressant, mais pas dangereux non plus ; à la fin du repas, on le remisait pour un an dans la cage à souvenirs. Dans sa tour, tout le monde le connaissait : ni José, le vendeur de bretzels à l’entrée, ni Samantha, la serveuse du Starbucks, ni DeAndre, le petit cireur de chaussures ne tarissaient d’éloges sur lui, ne trouvaient à redire : un peu lunatique peut-être, la main baladeuse à l’occasion, ne sachant pas toujours où il va, mais tellement proche des gens.

              Depuis le mois de novembre, le tonton hirsute est l’homme le plus important du monde. Et le monde se gratte la tête – qu’il a, lui, bien coiffée – en se demandant comment cela a-t-il bien pu arriver. Il suffit pourtant de se rappeler que la plupart de nos congénères ont eux aussi un peu de cerveau qui coule tous les soirs en access prime time devant la télévision.

             Tellement proches de Daffy.

Commenter cet article

À propos

Une photo, une légende...