Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 Sep

Quelques pas en Corée du Nord

Publié par Stumpyjoe

Quelques pas en Corée du Nord

C’est assez ridicule, une frontière. Juste des parpaings de béton de quarante centimètres de large sur dix de haut ; même pas la hauteur d’un trottoir. Ridicule, certes, mais infranchissable. Les soldats de l’ONU ont été formels : essayez de passer au Nord, et vous ferez bientôt partie intégrante du site. Les quelques pas que je ferai en Corée du Nord seront donc effectués, sous la protection menaçante d’un soldat Sud-Coréen immobile devant la porte du Nord dans une position guerrière, à l'intérieur d'un bâtiment préfabriqué de l’ONU. Plus précisément dans la salle de conférence où les deux pays, plus quelques représentants de pays neutres, se retrouvent lorsque la tension l’exige.

Au centre de la salle de conférence trône une table rectangulaire ; un côté appartient au Sud, l’autre au Nord. C’est autour de cette table que je pourrai tourner, envisager la situation du côté de l’ennemi, me demander ce qu’il peut bien y avoir de si différent de l’autre côté de la porte du fond. Un peu comme des insectes se cognant contre les vitres, sans bien comprendre les enjeux de la situation. Pas question donc de fouler vraiment le sol Nord- Coréen ; je ne pourrai que l’observer, cette frontière de béton (du côté Sud, le sol est en graviers ; en terre battue côté Nord : on dirait un peu un terrain de pétanque), tout en étant sur leur territoire, depuis la fenêtre de la salle de conférence. Je ne verrai pas non plus de soldats Nord-Coréens, hormis le garde du Panmum-gak, le bâtiment de trois étages qui se trouve de leur côté, faisant face à la Maison de la Liberté au Sud. Il semble bien seul face aux dizaines de privates Américains et de soldats Sud-Coréens en faction, à demi cachés derrière les bâtiments de l’ONU, observant sans relâche. C’est surtout grâce à eux, en cette belle journée d’été, que je me rend compte de la tension palpable qui existe entre les deux parties. Je me dis que si, sur les marches du Panmun-gak, le soldat esquissait un geste, l’intervention serait rapide, efficace. Bien sûr, ce soldat ne bougera pas ; il n’a pas d’invités de son camp à protéger, pour le moment.

Je reprends le bus de l’ONU, qui nous arrête au Check Point 3, désaffecté depuis 1976. De là, je peux voir le Village de la Propagande du Nord, avec son drapeau flottant en haut d’une tour de 160 mètres et ses énormes inscriptions proclamant l’invincibilité de son dirigeant. Le Sud a aussi son village à l’intérieur de la DMZ, bizarrement appelé Village de la Liberté ; sa tour ne fait que 100 mètres de haut.

Après une interruption de 10 ans, la « Guerre des Haut-parleurs » a repris. La nuit, la Corée du Nord envoie, depuis le Village de la Propagande, des messages aux Sud-Coréens, leur vantant la vie dans ce pays qui, il n’y a pas si longtemps, était encore le leur ; les Sud-Coréens en font autant depuis le Village de la Liberté, avec des haut-parleurs plus perfectionnés qui énervent beaucoup Kim-Jong-Un. Pour l’instant, on n’entend que le bruit des cigales. A l’oreille, il est impossible de les distinguer de celles de Séoul ; ce sont probablement les mêmes. Il ne faut, sans aucun doute, que quelques minutes aux aigrettes et aux hérons qui y ont élu domicile pour franchir les quatre kilomètres de la DMZ ; mais les aigrettes sont des oiseaux, et non des êtres humains. Les oiseaux, c’est bien connu, sont des cons ; ils ne savent pas la géographie. Certaines familles, qui avaient la mauvaise idée de vivre séparées par le 38ème parallèle, tentent depuis plus de soixante ans de franchir ces quatre kilomètres. Sans succès.

Quatre kilomètres en soixante ans, on a vu mieux, comme moyenne.

Quelques pas en Corée du Nord
Commenter cet article

À propos

Une photo, une légende...